Juliette Rennes est directrice d'études à l'EHESS. Ses travaux articulent sociologie et histoire du genre, de l'âge, du travail et des cultures visuelles. Elle a notamment publié Femmes en métiers d'hommes (Cartes postales). Une histoire visuelle du travail et du genre (Bleu autour, 2013) et coordonné l'Encyclopédie critique du genre (La Découverte 2016, rééd. augmentée en poche 2021).
Quatre textes méconnus de Pierre Bourdieu sur la question de la réflexivité sont ici réunis : deux inédits, un texte qui n'est disponible qu'en allemand, et un dernier paru dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, en 1995, mais qui n'a pas été republié depuis. L'ensemble rappelle ainsi le programme parfois mal compris et surtout peu pratiqué d'une science sociale réflexive. Il s'oppose, d'une part, à la croyance naïve qu'il suffirait d'avouer ses caractéristiques sociales personnelles pour s'affranchir de leurs effets sur sa production scientifique et, d'autre part, à la conviction que le fait de se soumettre au consensus scientifique dominant soit gage de scientificité.
Cet ouvrage ambitieux et novateur publié en 1988 réunit des essais indépendants autour de quatre grands axes : Descola passe en revue l'histoire des concepts de causalité, Lenclud éclaircit la question maintes fois rebattue de « fonction », Severi s'affranchit des écrits antérieurs autour de la notion de structure en s'appuyant sur les travaux scientifiques de Goethe et, dans un essai sur l'histoire, Taylor se détache des idées classiques sur l'évolutionnisme et l'histoire culturelle. Audelà d'une histoire de la théorie de leur discipline, ces quatre anthropologues soulignent pour la première fois les liens entre l'ethnologie et l'histoire plus générale des idées en Occident.
Ce livre est le premier consacré à l'art maritime et à l'esclavage des galères dans la France du XVIIe siècle. Il montre comment les images et le travail forcé des musulmans étaient au coeur de la politique et de la propagande de Louis XIV.
Le Roi-Soleil en mer met l'accent sur le rôle de ces « esclaves turcs » - des rameurs capturés ou achetés en terre d'islam - dans la construction et la décoration des navires. En attirant l'attention sur le travail forcé à l'origine de l'art maritime méditerranéen, cette étude remet en question l'idée selon laquelle la servitude humaine avait alors disparu en France. On y découvre le savoir-faire et la créativité des esclaves de l'Empire ottoman et d'Afrique du Nord qui produisaient, aux côtés des bagnards et des artisans, des oeuvres souvent éphémères, reflets de ces rencontres interculturelles.
À travers un large éventail d'illustrations - dessins de navires, sculptures d'artillerie, médailles, peintures et gravures -, Meredith Martin et Gillian Weiss nous invitent à reconsidérer l'image dominante de l'art et du pouvoir dans la France de Louis XIV, au-delà de Paris et Versailles.
En s'appuyant sur des textes de philosophes, d'historiens, de poètes, Nicole Loraux revient, dans ce livre publié pour la première fois en 1981, sur l'oraison funèbre, cette « invention athénienne » née selon elle au cours des années 460 av. J.-C., suite au renforcement de la démocratie et à la volonté d'Athènes de régner sur les autres cités. L'oraison funèbre est un discours prononcé par un orateur choisi par la cité en l'honneur des citoyens morts au combat, au sein d'une cérémonie codifiée qui a toujours lieu au cimetière du Céramique lors de funérailles collectives. L'auteure montre comment ce logos épitaphios devient à la fois le lieu d'élaboration et de manifestation d'une parole démocratique, un discours de rupture avec le passé et un objet privilégié pour critiquer la politique.
La critique de la famille est au coeur de la pensée féministe. Pourtant, dans les études de genre, comme dans bien d'autres domaines de recherche, la métaphore familiale est souvent mobilisée pour exprimer l'entremêlement du biographique et du bibliographique, du personnel et du politique, des idées et des affects. Composé d'articles, d'entretiens, de récits et de cartes mentales, cet ouvrage déplie la métaphore pour saisir ce que l'on considère d'ordinaire comme étranger à la sphère professionnelle et intellectuelle. Des AG enfumées du MLF aux bancs de l'université et aux mobilisations actuelles, comment comprendre de manière réflexive les héritages, les liens, les ruptures, les griefs ou les passages de relais entre les générations ? En retraçant l'histoire d'un engagement collectif qui a transformé la pratique des sciences humaines et sociales, ce livre révèle aussi la matière même des vies intellectuelles.
Avec les contributions de Maira Abreu, Zahra Ali, Laure Bereni, Michel Bozon, Judith Butler, Maxime Cervulle, Isabelle Clair, Sonia Dayan-Herzbrun, Baptiste Coulmont, Leyla Dakhli, Virginie Descoutures, Xavier Dunezat, Elsa Dorlin, Agnès Fine, Fanny Gallot, Nacira Guénif-Souilamas, Astrid Henry, Helena Hirata, Alban Jacquemart, Rose-Marie Lagrave, Jacqueline Laufer, Margaret Maruani, Camille Masclet, Frédérique Matonti, Mélusine, Pascale Molinier, Nelly Quemener, Florence Rochefort.
Ce livre est devenu un classique pour apprendre à éviter les « maladies de la raison sociologique » et compte parmi les contributions les plus importantes et les plus novatrices de la sociologie contemporaine. Une première partie « manifeste » dresse un portrait de ce que doivent être les sciences sociales selon les trois sociologues. Une seconde partie composée de près de 50 extraits de textes fondateurs des SHS, préalablement introduits par les auteurs, fait de cet ouvrage un véritable manuel aussi bien des sciences sociales que de la philosophie des sciences. Cette nouvelle édition propose une préface inédite de Paul Pasquali remontant aux origines du projet, à sa gestation et au rayonnement considérable qui suivit sa publication.
La Florence de la première Renaissance est une ville de négociants, d'industriels, d'artisans, de peintres. Ces hommes tiennent des livres de comptes et beaucoup ne lâchent pas la plume en rentrant chez eux. Certains se piquent même de généalogie. Si cette écriture domestique qui enregistre, calcule et transmet est la pierre angulaire de la confiance réciproque et de l'identité sociale, elle est en revanche encore mal partagée entre hommes et femmes. Celles-ci s'efforcent toutefois de s'en approprier l'usage pour participer à la vie quotidienne et à la mémoire collective de leurs lignées.
Grande historienne de la parenté et des mentalités, Christiane Klapisch-Zuber montre dans cet essai que le recours à l'écrit offre également une issue aux conflits qui mettent en cause l'honneur du groupe. Que les «?livres de famille?» gardent la trace des affrontements ou, au contraire, les passent sous silence, ils sont toujours au coeur des relations sociales?: c'est tout l'art florentin de la mémoire.
Cet ouvrage s'interroge sur la nature des frontières sociales, sur la façon dont elles sont érigées, sur les processus de leur reconnaissance et de leur transmission, sur leur imperméabilité supposée ou à l'inverse sur leur porosité.
Les différentes contributions explorent les dynamiques qui conduisent à l'édification de frontières, à leurs consolidations ou à leurs transformations.
Le pouvoir des rois de France s'est accru de façon exponentielle au cours du XIIIe siècle, des croisades de saint Louis jusqu'aux conflits de Philippe le Bel avec l'Église. Sean L. Field réexamine l'âge d'or capétien et soutient que les saintes femmes, mystiques, voyantes ou ascètes, ont joué un rôle crucial, mais négligé, pour légitimer cette montée en puissance. À travers les destins de six de ces femmes, il observe que, pendant la série de scandales qui agitent la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, elles ont joué un rôle non moins important, mais cette fois-ci en tant que boucs émissaires.
Camille Lefebvre restitue dans ce livre, avec la distance de son métier d'historienne, les passés de ses quatre grands-parents qui la construisent.
Ces trajectoires d'individus et de fratries pris dans l'histoire, ce sont celles d'hommes et de femmes ordinaires ayant vécu des événements extraordinaires ;
Une famille où se mêlaient l'engagement communiste, la résistance, les persécutions, la Shoah, les guerres, les exils, où les corps avaient été meurtris par les conflits, mais dans laquelle, comme souvent en cas d'expérience traumatique, les silences étaient aussi présents que les récits.
Cet ouvrage nous interroge sur ce qui fait l'identité d'un individu, comment celle-ci se construit, comment elle disparaît ou change profondément.
Dans Mort et pleurs rituels, Ernesto De Martino présente les résultats de son enquête ethnographique menée en Lucanie sur les coutumes funéraires. Il revient aux origines de celles-ci, fondées sur le refus d'une mort insignifiante et l'exigence humaine visant à procurer au défunt une seconde mort d'ordre culturel. Parmi ces dernières, l'institution de la plainte funèbre a joué un rôle primordial dans les civilisations méditerranéennes antiques.
L'ouvrage se clôt sur l'Atlas illustré des pleurs, inventaire des techniques du corps exprimant le pathos : le riche répertoire des images (qui vont de l'Égypte ancienne à la Renaissance) évoque l'Atlas Mnémosyne conçu par l'historien de l'art allemand Aby Warburg (1866-1929).
Ce texte, absent de l'édition française de 1975 et qui ouvre le deuxième tome de Sur le processus de civilisation (1939), porte sur l'époque médiévale et décrit les effets généraux du procès de civilisation sur l'histoire occidentale. Norbert Elias esquisse dans cet inédit ce qu'il appelle la « sociogenèse de l'État », une évolution qui repose en grande partie sur la constitution de la cour comme espace social, politique et culturel. Ces pages sont également très précieuses pour en apprendre davantage sur les méthodes de travail d'Elias : comment un intellectuel allemand formé dans les années 1910- 1920 à la psychologie, la philosophie et la sociologie faitil pour écrire sur le Moyen Âge ? À partir de quels outils, et de quelles sources ?
Si l'histoire travaille constamment sur de la perte, sur « le manque qui est à l'origine de nos savoirs », comme le rappelle Michel de Certeau, est-ce que la littérature, pour sa part, ne ferait pas signe vers une forme de plénitude ? Et cela n'est-il pas lié au fait que l'histoire doit s'occuper de « ce qui est » - même si cet objet s'avère éminemment problématique - tandis que la poésie, la littérature s'occupent de ce qui pourrait être ?
À travers un itinéraire de vie diffracté dans des expériences et des usages variés des livres, cet ouvrage propose une réflexion sur le statut du livre au sein des sciences humaines et des activités de lecture.
Cet ouvrage propose une réflexion critique sur l'histoire du livre gréco-latin entre l'Antiquité et le Moyen Âge, à l'aide d'une méthode originale, au croisement entre « sciences du livre » et sciences sociales.
Filippo Ronconi y analyse les différents types de manuscrits qui ont circulé dans les espaces méditerranéen et européen à ces époques, en en décrivant formes et structures et en situant à chaque fois leur origine et leur diffusion dans le contexte socioéconomique.
Une attention particulière est consacrée aux milieux de production, aux réseaux de commercialisation et aux différentes utilisations des manuscrits.
Dans ce petit livre, Danièle Hervieu-Léger esquisse les circonstances personnelles qui l'ont conduit, depuis cinquante ans, à consacrer son temps et son énergie aux sciences sociales des religions, et plus précisément à l'exploration du devenir du christianisme contemporain en Occident.
Elle revient sur le tournant de la « seconde génération » des sociologues des religions en France, après le temps des « fondateurs » qui établirent les bases de la discipline au début des années 1950. Ce sera aussi l'occasion d'apporter un témoignage sur les processus qui, depuis la fin des années 1990, ont changé en profondeur la physionomie du paysage français de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Oeuvre singulière dont l'interprétation est toujours ouverte, la Flagellation du Christ de Piero della Francesca est une peinture mystérieuse et fascinante. Si l'oeil contemporain se laisse volontiers séduire par l'absolue perfection de sa perspective centrale, il peine à comprendre son sujet réel. Menée comme une enquête, cette étude progresse depuis l'intérieur du tableau, au plus près de ses formes, de ses couleurs, mais aussi et peut-être surtout de sa savante géométrie conçue par un peintre mathématicien qui pense et utilise la perspective comme une "science" de la mesure capable d'aider l'homme à atteindre l'infinité divine.
Sous cet angle, on ne doit plus considérer le chef-d'oeuvre de la Flagellation du Christ isolément, mais en relation avec d'autres peintures du maître de Borgo Sansepolcro (le Baptême du Christ de Londres, les deux Saint Jérôme de Berlin et de Venise, la Vierge de Senigallia d'Urbino). La question de la présence du peintre dans son oeuvre, y compris à travers son portrait, celle de son rapport au temps et au salut, celle de l'usage conscient et précurseur de la "divine proportion" sont quelques-unes des étapes de ce livre que l'on peut lire aussi comme une invitation à renouveler notre vision de l'un des plus grands peintres du XV ? siècle italien.
Les structures élémentaires de la parenté, thèse d'État soutenue à la Sor- bonne par Lévi-Strauss en 1948 et publiée l'année suivante, renouvelle la perception des systèmes de parenté et d'union, de la place de la famille, de la prohibition de l'inceste et des échanges entre groupes sociaux. Texte majeur, précurseur du structuralisme français et également controversé, cet ouvrage constitue le premier résultat des longues recherches de Lévi- Strauss qui l'ont aussi conduit vers l'analyse des systèmes de classification du langage et de la mythologie.
L'idée centrale des Structures élémentaires de la parenté tient en quelques phrases.
L'échange matrimonial, par le lien qu'il instaure et par le renoncement qu'il impose, se trouve au fondement de toute société humaine. Il signale le passage de la nature à la culture ; il est inhérent à l'ordre social. L'ouvrage s'inspire des travaux de l'anthro pologie anglosaxonne et de certains écrits de l'école de L'Année sociologique. Au fil des pages, le lecteur passe des affiliations totémiques des Aborigènes d'Australie à l'étiquette du deuil dans la Chine ancienne, de l'ethnographie des tribus des hautes terres de Birmanie à la féodalité en Europe médiévale ou encore à l'Inde des brahmanes, de la psychologie de l'enfant à la théorie mathématique des groupes.
Dans ce livre, il est tout d'abord question de mieux cerner la manière dont Norbert Elias a lié la formation du sujet socialisé et les dynamiques historiques modernisatrices qui le produisent et qui, en retour, mènent collectivement les sociétés à emprunter un chemin spécifique.
Il s'agit ensuite de mettre la sociologie d'Elias à l'épreuve de divers terrains d'enquête. La thèse des rationalités pratiques des acteurs sociaux en situation, formés et informés par des idéaux transmis dans le processus de la formation de l'État-nation moderne, sera documentée, discutée et évaluée, afin de faire surgir l'actualité de la sociologie d'Elias dans l'élaboration d'une sociologie contemporaine de la politique.
Voyage dans le temps et dans l'espace, ce livre nous invite à explorer des activités de l'esprit à première vue sans rapport les unes avec les autres, mais entre lesquelles des auteurs comme Leibniz, Simone Weil ou Italo Calvino ont repéré des similitudes.
Dominique Casajus ira de l'une à l'autre de ces activités, montrant au lecteur qu'elles peuvent être parentes : la divination (ou du moins certains procédés géomantiques utilisant des opérations arithmétiques, tels les géomancies chinoise, arabe et touarègue) ; certains jeux (les échecs, le go, la version touarègue d'un jeu africain nommé awélé) ; les mathématiques ; l'écriture littéraire (notamment celle de Calvino, de membres de l'Oulipo, de poètes allemands de la période baroque).
Cet ouvrage porte sur l'évolution actuelle des droits de propriété intellectuelle (DPI). Au croisement de la sociologie économique et du droit, et de l'économie des conventions, Christian Bessy s'empare de l'extension du droit de la propriété intellectuelle et de sa transformation contemporaine. Il entend montrer comment des choses jugées jusqu'ici comme inappropriables le sont devenues et ont acquis la qualification de « bien », objet d'un droit de propriété, au prix d'une codification juridique rampante. En portant l'attention sur les États, les grandes entreprises et les intermédiaires du droit, ce livre se propose de saisir les évolutions du capitalisme notamment à travers la façon dont les DPI deviennent aussi des marchandises que l'on peut échanger, expropriant les travailleurs.