Peu ou prou et sous des formes diverses, les textes rassemblés dans Vita Poetica sont des essais d'« écopoéthique ». Tous abordent, de près ou de loin, la question écologique, en vertu de ce lien constitutif qui fait l'alliance immémoriale de la poésie et de la Nature. Centrale dans certains essais, plus marginale en apparence dans d'autres, elle demeure essentielle pour tous, nulle réflexion sur la poésie ne pouvant aujourd'hui ignorer que cette question constitue l'horizon indépassable de notre temps.
Par-delà le texte littéraire lui-même, l'accent dans tous les cas est mis sur la manière d'habiter le monde (l'ethos), dont la poésie (entendue comme nom générique pour toute littérature et tout art) est constitutivement solidaire. En ce sens, plus que des essais de poétique au sens habituel du mot, les textes ici réunis relèvent de ce que Jean-Claude Pinson appelle la « poéthique ».
Mot-valise (Georges Perros est le premier à l'employer, en 1973), le terme, dans l'élaboration qu'en propose l'auteur, cherche à appréhender un pouvoir qu'aurait le poème (et plus largement le texte littéraire) de nous faire entrevoir, échappant aux logiques de la raison économique, la possibilité et la réalité de formes de vie déprises du modèle dominant que cette raison et son discours imposent.
Ce livre du poète Jean-Claude Pinson propose trois études essentielles sur Pierre Michon. Écrites par un philosophe spécialiste d'esthétique, elles éclairent l'oeuvre de l'auteur de Rimbaud le fils, y dessinent des chemins, sans pourtant l'éblouir ou la crucifier. En abordant successivement la question du sacré chez Michon (à partir de Bataille), celle de l'amour (en référence à Barthes), et enfin en étudiant le lien qui unit Michon et Antonin Artaud, massacreur et grand thuriféraire de la langue-mère.
Jean-Claude Pinson, écrivain, poète et philosophe nous propose son autobiographie. Ce faisant, il fait le constat, ni tristesse ni amertume, que sa vie n'a guère débordé des frontières du département de la Loire-Atlantique, tel un navire tirant des bords entre ces trois bouées que sont Nantes, Saint-Nazaire et Tharon-Plage petite cité balnéaire où il passe dorénavant le plus clair de son temps. C'est surtout comme il le précise, « une vie dans les livres, pour essayer d'y voir plus clair dans les affaires obscures de ce département toujours plus ou moins en mal de bonne gouvernance qu'est pour chacun son propre moi. », à quoi il ajoute : « Écrire, à propos du pays (du département) où l'on vit, sous l'angle des affects, des sensations et émotions, sentiments, dont il est le cadre et la source, voilà qui me convient plutôt. » En une vingtaine de chapitres à l'esprit très vif, Jean-Claude Pinson égrène souvenirs et réflexions. Il revient sur son engagement maoïste dans les années soixante, décrit son enseignement de la philosophie, mentionne ses lectures de Julien Gracq, Pierre Michon ou Leopardi tout autant qu'il décrit l'art de cuisiner la lamproie, relate les carnets de guerre de son grand-père, avoue sa passion pour le rugby ou parle des oiseaux dont le chant berce sa lecture à l'ombre d'un grand pin parasol. Toute une vie passée à observer, étudier, lire, décrire dans un cadre géographique limité, seulement en apparence.
Où il est question d'une ronéo dans un garage.
D'un palmier aperçu au milieu de jardins ouvriers. De copies à corriger. D'un moteur mis au point sous les pins. D'un port où les noms des bateaux de pêche forment comme un poème grandeur nature. D'un estuaire où le fleuve coule dans les deux sens. Où il est question d'habiter, au gré d'une poésie qu'on rêve lisible par beaucoup, une ville à la fois banale et singulière : Saint-Nazaire.
Une histoire d'amour un peu martienne.
Avec six personnages en vadrouille entre Bruxelles et Lisbonne, à la poursuite d'une présumée chanteuse de fado. Six personnages (six fantômes) en quête de voix : un sosie de Baudelaire, un pseudo-Pessoa, un double de Janacek, un certain Coelebs, Leopardi presque en personne et, sorti un peu sonné de son affaire, le narrateur, auquel les autres, experts en musique et paroles, ne manquent pas de prodiguer quelques conseils thérapeutiques et techniques (comment, par exemple, pour se réchauffer, faire prendre sous les flocons le feu d'une prosodie neuve).
Sept variations sur l'amour, la musique et la poésie. Avec dialogues et chansons (la confrérie, semble-t-il, s'est mis en tête d'écrire un opéra).
Sous la forme d'un abécédaire, dont les 33 lettres de l'alphabet russe sont les étoiles, un voyage, réel autant qu'imaginaire, en Russie (ou plutôt en « Soviétorussie » comme disait Marina Tsvétaïeva).
Revenu d'on ne sait où, le poète Lermontov est le maître à danser de cet opéra-ballet linguistique. D'autres revenants (un sosie de Leopardi, un double de Kojève, un pseudo Baudelaire.) lui donnent la réplique, tandis qu'un narrateur du nom d'Aïe Ivanovitch assure la mise en scène.
Entremêlant micro-fictions, bribes de poèmes, fragments autobiographiques, dialogues et jeux sur les langues, Alphabet cyrillique est un livre au genre délibérément indécis. C'est aussi à l'occasion un abécédaire enfantin, contenant un bestiaire, et même, un livre sur l'art d'être grand-père.
Jean-Claude Pinson est philosophe, poète et essayiste. Il est, entre autres, l'auteur de Habiter en poète, essai sur la poésie contemporaine (Champ Vallon, 1995), L'Art après le grand art (éditions Cécile Defaut, 2005), A Piatigorsk, sur la poésie (éditions Cécile Defaut, 2008) essais dans lesquels la philosophie interroge et s'interroge sur l'art et la poésie. Poète, Jean-Claude Pinson est aussi l'auteur notamment de J'habite ici (1991), Fado (avec flocons et fantômes) (2001) et Drapeau rouge (2008) aux éditions Champ Vallon et Free jazz aux éditions Joca Seria, 2004.
Que le grand art (ce que du moins on a appelé ainsi) soit désormais pour nous une chose du passé ne signifie pas que toute grandeur soit impossible à l'art d'aujourd'hui, comme voudrait le faire croire la suspicion d'insignifiance qui si souvent accable.
C'est plutôt la grandeur de l'art qu'il faut s'employer à redéfinir et repenser : que peut-elle bien être encore quand les temps " démocratiques " annulent toute transcendance et toute hiérarchie, quand le règne sans partage de la marchandise proclame que " tout se vaut " et quand tant d'artistes semblent eux-mêmes ne faire que recycler les produits et les formes, les signes et les postures de la consommation culturelle ?
Poéthique rassemble des essais variés où l'auteur, revenant sur son parcours, cherche à cerner sa vision de la poésie. Au mépris des constats récurrents qui ne veulent voir que son obsolescence, il plaide pour la pertinence existentielle de la poésie, décisive dès lors qu'il s'agit de travailler à l'invention de formes de vie où pourrait prendre sens l'adage hölderlinien d'une habitation poétique de la terre.
Revisitant les oeuvres de contemporains (Michon, Sacré, Bouquet, Prigent, Bergounioux.), Pinson mêle dans ce livre inclassable, essais théoriques, notes de lecture, mais aussi textes mi-narratifs mi-réflexifs témoignant d'expériences et de rencontres vécues, dessinant au bout du compte ce qu'on pourrait appeler une « autothéorie » (comme on parle aujourd'hui d'autofiction).
La philosophie politique hégélienne parvient-elle à une synthèse recevable du principe antique, qui souligne la primauté du droit de la Cité comme totalité, et du principe moderne, qui met l'accent sur la liberté subjective de l'individu ? A l'encontre du verdict anti-hégélien souvent rendu, le présent ouvrage avance l'hypothèse qu'il y a bien chez Hegel un " moment lockien ", qui requiert une analyse spécifique.
La mise à l'épreuve de la synthèse hégélienne, à travers une confrontation de la Philosophie du droit avec la tradition libérale, requiert au préalable l'étude d'un thème critique du hégélianisme : celui de la logique de la contingence, véritable talon d'Achille de la philosophie de l'absolu. En effet, les rapports de l'individu et de l'Etat sont chez Hegel indissociables de cette question. La mise en évidence d'un double statut du contingent permet alors d'articuler une syntaxe qui rend viable une sphère de droits de l'individu soustraite à toute " ruse de l'Etat ". Non sans quelques points d'achoppement symptomatiques, comme l'exclusion du droit d'émigrer.
En produisant une des archéologies possibles de l'actuel débat entre libéralisme et socialisme, le présent ouvrage livre à la réflexion politique d'aujourd'hui quelques éléments pour penser un refus du totalitarisme qui soit compatible avec une critique de l'individualisme contemporain en ce qu'il peut avoir d'unilatéral.
Station thermale située au pied du caucase, piatigorsk est la petite ville où a vécu, avant d'y mourir tué en duel, le poète russe lermontov.
C'est depuis ce lieu, depuis la constellation qui déjà avec lermontov s'y esquisse, que sont ici reprises les questions que la poésie ne cesse de nous poser. celle d'abord, " poéthique ", de son élargissement à la vie elle-même et de son éventuelle incidence sur l'existence. celle ensuite, politique, de son pouvoir ou de son impouvoir dans l'entreprise de refaire, autrement qu'en pensée, le monde.
Celle enfin, lyrique, de sa capacité à ajouter à la vie quelque chose comme un chant - et être ainsi ce que barthes appelait une " pratique de procréation ".
Penser la poésie contemporaine, tel est l'objet de cet essai.
Plutôt que d'en brosser simplement un panorama, on tente d'interroger le sens philosophique du nouveau paysage qui s'affirme aujourd'hui.
Au cours de la dernière décennie en effet, la poésie s'est, en france, peu à peu déprise d'un horizon " spéculatif " (marqué par le romantisme allemand puis par heidegger) qui conduisait à mettre emphatiquement l'accent sur sa vocation ontologique. en même temps, elle renonçait largement à l'enfermement " logolâtrique " inhérent à la domination du modèle " textualiste " des années soixante et soixante-dix.
Réfléchir cette mutation, tenter d'en discerner la logique esthétique (mais aussi bien les limites), ce n'est nullement prêcher une quelconque régression " postmoderne " en faveur d'un renouveau du vieux lyrisme.
C'est poser à nouveaux frais quelques-unes des questions essentielles de la modernité poétique : celle du sacré, celle de la littéralité, celle du sujet lyrique, notamment.
La question qui les résume toutes, celle de l'" habitation poétique ", est au coeur de cet essai. aussi s'attache-t-on à lire en priorité ce qui, chez les poètes d'aujourd'hui, s'affirme de vertu " poéthique ", c'est-à-dire de puissance à former une existence à la fois lyrique et éthique.
Dans cette optique, sont étudiées plus spécialement les oeuvres pourtant très diverses de francis ponge, d'yves bonnefoy, de philippe jaccottet, de michel deguy et de jacques réda. bien d'autres auteurs sont évoqués, de lionel ray à dominique fourcade, en passant par denis roche, emmanuel hocquard, jude stéfan, james sacré ou renaud camus.
Que peut encore la poésie, quand ses illusions lyriques de naguère (offrir une vue imprenable sur l'Absolu, " changer la vie " ...
) ont perdu tout crédit ? N'est-elle pas devenue une activité anachronique et dérisoire ? Et pourtant, même s'il lui a fallu en rabattre sur ses prétentions, elle insiste, tournée toujours vers ce qui ne cesse de manquer à nos existences. J-Cl. Pinson
Prolongeant la perspective inaugurée dans Habiter en poète, ces nouveaux essais analysent les évolutions les plus récentes de la poésie à la lumière de l'idée de "poéthique".
Replaçant dans la longue durée la question moderne de la poésie, ils tentent de discerner, dans le fouillis du contemporain, l'esquisse d'un chemin où elle demeurerait, après la critique de ses illusions, l'aiguillon d'une recherche de "l'exacte vitesse de vivre". Reprenant librement les catégories du "naïf" et du "sentimental" mises en avant par Schiller, méditant l'exemple de Leopardi, l'ouvrage essaie de penser comment la poésie pourrait nous aider à "faire le positif" ; comment, intempestive, elle pourrait irriguer le désert du nihilisme que l'époque voudrait nous imposer comme seul partage ; comment, par sa pensée critique inventant des allées imprévues dans la langue, elle pourrait être un des lieux essentiels où dessiner une habitation du monde soustraite, autant que faire se peut, aux logiques impériales de la marchandise, de l'image et de la performance.
A la lumière de ces questions et de quelques autres (dont celle du lyrisme), sont abordées plus spécialement les ouvres, majeures, de Pierre Michon, Jude Stéfan, James Sacré et Dominique Fourcade.
Industrie du divertissement d'un côté, avant-garde de l'autre ? - L'art tel qu'il est aujourd'hui ne saurait pourtant se ramener à la simple opposition d'une logique commerciale et d'une logique purement artistique.
Car à l'époque de la culture de masse, c'est aussi la pratique de l'art qui tend, multiforme, à se répandre. Simple hobby souvent, elle peut se révéler façon de s'accoucher de soi et tentative d'habiter mieux le monde.. Rien même n'interdit que s'y puisse retrouver l'orgueilleuse ambition dandy inhérente au désir de " grand art ".
Que peut la littérature au regard de la catastrophe écologique qui menace ? Pas grand chose, dira-t-on. Et la poésie, vu sa très faible audience aujourd'hui, sans doute encore moins.
Pourtant, n'est-elle pas, séculairement, cette poésie, une alliée privilégiée de la Nature, liée à elle par ce qu'on pourrait appeler un « contrat pastoral » ? Et, en sa langue même, en son désir de chant, le poème ne dessine-t-il pas, discrètement autant qu'obstinément, la possibilité d'une autre habitation de la terre et du monde ?
Ce texte a été lu à Nantes, le samedi 28 novembre 2015, en guise d'ouverture, dans le cadre d'une journée organisée par la Maison de la Poésie, au Lieu Unique. Le thème en était « Poésies et écologies » et la manifestation comprenait lectures, conférences, table-ronde, entretiens, lectureconcert...
Sur l'arrière-fond que constitue l'épopée tragique des révolutions du XXe siècle, Drapeau Rouge raconte les aventures (et les déboires), dans les années d'avant et d'après mai 68, d'un narrateur du nom de Aïe, enrôlé, comme l'auteur, dans les rangs de ceux qu'on appelait alors « marxistes-léninistes ». Même si des épisodes et personnages réels sont parfois évoqués (Mao, Linhart, Chalamov, Lukacs, Beckett, la chienne Laïka...), Drapeau rouge n'est ni un livre d'histoire ni un livre de souvenirs. C'est d'abord un livre qui s'efforce d'inventer sans cesse, au présent de l'écriture, sa propre fiction (ainsi, réduit à ses initiales, D. R., le drapeau en question, devient-il un personnage à part entière de la narration). Tout à la fois poème, roman et essai, Drapeau rouge est donc un livre de littérature, mais, dans la mesure où il s'attache, sous l'angle d'une expérience très personnelle, à comprendre la genèse de l'époque actuelle, c'est aussi un livre politique où l'on tente de poser au présent la question de l'égalité.
Dans la saga des Congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM), celui consacré à la formulation d'une Charte de l'habitat qui se déroule à Aix-en-Provence en 1953 tient une place mythique. La jeune génération des architectes inscrits dans le Mouvement Moderne reconsidère l'héritage et affirme son indépendance. Organisée internationalement dans le Team-Ten, elle s'inscrit dans un mouvement plus large en phase avec les sensibilités de l'après-guerre et qui préfigure bien des problématiques actuelles.
Ce sont les attendus, les propositions et les formes de ce courant que l'on pourrait rétrospectivement qualifier de « Modernité critique » qui ont été au centre des contributions et des questionnements du colloque international qui s'est tenu à Aix-en-Provence en octobre 2003 à la Maison Méditerranéenne des Sciences et de l'Homme, et qui ont été réunis dans cet ouvrage publié par les Editions Imbernon. Le colloque et l'ouvrage ont été coordonnés par Jean-Lucien Bonillo, Claude Massu et Daniel Pinson.
A celui qui chaque jour marche le long d'une paisible rivière (ici l'Erdre nantaise), ne sied guère le ton trop sérieux du poète proférant des oracles.
Le discours qu'on se tient à soi-même en marchant est plutôt un " laïus " familier. Et si on se laisse aller à le scander en vers, on tempère d'ironie sa propension à l'envolée lyrique. Sinueux, il se nourrit de tout et de rien : un banal déménagement, quelques mots de Mallarmé qui donnent à méditer, un rituel dépôt de chrysanthèmes, un jour de Toussaint, sur la tombe d'un aïeul. On se souvient aussi ; on rend hommage à ses dieux lares.
Mais s'ils sont les dieux des ancêtres, ils sont également ceux de la ville et de ses carrefours. On parle donc de Nantes ; on en propose quelques vues ; on respire le parfum des magnolias de ses jardins. Et puis on s'en va vers la mer, qui jamais n'est très loin. On va enfin jusqu'en Chine se chercher de quoi faire un art poétique : Bo juyi, un poète des Tang, donne à l'auteur l'occasion de rêver d'une poésie qui ait assez de verve et d'élan lyrique pour espérer s'insinuer pour longtemps dans les coeurs.