Ce recueil rassemble 48 méditations poétiques dans le lieu de vie de l'auteur, face aux Pyrénées, en contact avec la nature. « Incertains ces instants retenus, à bien des titres : incertitudes de nos perceptions, incertitude du "coeur" à l'instant où quelque chose nous est donné, tremblement de "l'expérience du vivre" lorsque nous partageons la douloureuse traversée d'amis proches... »
" D'aube en aube, la solitude silencieuse m'aura, à peine délivrée des chambres de la nuit, livrée sans obstacle à la perception du dehors, dans un état flottant fait de contemplation éperdue et de méditation incertaine, mais prise dans l'illusion (peut-être le miracle s'est-il parfois produit) d'une fusion avec le monde, la transparence des baies vitrées facilitant les amorces d'une sorte d'extase matérielle, termes qu'à peine posés, on trouve trop grands pour soi.
Ou plus exactement, dans les mots de Philippe Jaccottet, toujours si humblement juste : " Il y a des instants, et ce sont peut-être ceux-là qui fomentent le poème, où on a l'impression d'être sorti du temps - même sans qu'il s'agisse d'une extase ou d'un élan mystique -, de la prison du corps, où on a l'impression de toucher les limites de l'espace. " Bernadette Engel-Roux
« Des amis sont dans la peine. Et je les sens si proches. C'est, je crois, ce ciel tendre et léger, tout de pastels bleus et roses et blancs qui pose leur présence ici, tout près, dans l'espace où je suis, assise, un livre ouvert sur les genoux, et oublié. C'est la lumière aiguë et fraîche qui griffe la neige des sommets, c'est la douceur de l'air, peut-être tout ce que l'on voudrait offrir et partager qui doit assurer ce transport de présences aimées. Il penche son grand corps vers celle qui somnole, il tient ses mains et dans ses lointains elle sent les forces qu'il transfuse, elle reconnaît les mains familières et sans doute lui dit-il en silence ce ciel tendre et frais, la lumière aiguë, la douceur de l'air, la jeunesse de la neige. » B. Engel-Roux.
Vus de loin, les tableaux de Jean-Louis Bentajou se donnent pour des monochromes et la référence à ce grand mouvement né au XXe siècle avec Malévitch pour culminer, chez Rheinhardt, Ryman ou même Soulages pourrait nous rassurer. On pourrait ainsi classer cette peinture dans un cadre historique et esthétique. Car ce n?est pas une mince affaire et cette référence au monochrome par les questions qu?elle pose : fin de la peinture comme telle, ouverture sur l?infini, expérience intérieure, irradiation, avènement du visible situerait déjà ce travail à un niveau d?exigence où ont culminé des peintres aussi considérables que Rothko ou même Yves Klein.
Et pourtant, ce n?est pas de cela qu?il s?agit, mais d?autre chose.
Quoi au juste ? D?abord ce ne sont pas des monochromes mais des polychromes, une infinité vertigineuse de petits points peints à la main, minutieusement, jusqu?à saturer la toile, en faire émerger la lumière. Ah voilà, passer de la couleur à la lumière.
A ce stade, une seule comparaison : Rothko. Mais ce n?est pas la même intention, beaucoup de spiritualité dans ce dernier, un véritable athéisme de la perception chez Bentajou qui a lu les phénoménologues et regardé les peintres de la tradition française, Matisse, Bonnard, Cézanne entre autres.
Comment rendre compte de cela ? Donc, les tableaux. Ce que l?on voit bouleverse, interroge, dérange - une telle permanence dans le questionnement du visible que rien ne détourne de son ascèse . « Peindre sans images », c?était le mot d?ordre, la règle, le titre d?un de ses écrits. Saisir la lumière dans ses jeux et les atomes de couleur dans leur déclivité, faire monde de cela, y insuffler l?énergie du mouvement arrêté, la « potentia activa ».
Tout cela est là, le courage de se passer du jeu des figures, de la représentation pour laisser être la peinture au risque du fond sans fond. Ce sentiment tout de suite qu?une phrase de Michaux me suggère : « on ôte un grain de sable et c?est toute la plage qui s?effondre? » voilà ; des tas de points colorés nécessaires à leur équilibre interne, posés à la limite du déséquilibre, c?est ce que l?on voit. [Marc Belit] Face à la succession de toiles quasi semblables, et tout est dans ce presque, face aux variations imperceptibles de l?une à l?autre que domine seulement l?impression rouge ou verte ou jaune, un amateur un peu pressé ou incapable de ce regard particulier qu?il faut accepter de porter à la peinture, sous peine de ne pas la voir, cet amateur supposé conclurait assez vite à un inventaire de la couleur qui se poursuivrait de toile en toile, à travers les variantes. Mais il n?y a ici ni inventaire ni variations du même. Chaque toile est unique et singulière, accomplie en elle-même, close jusqu?en son provisoire achèvement. À propos de Garache, Jean Starobinski parlait d?ampleur d?intensités différentes de toile en toile : « la réassertion obstinée du même donne naissance à la série infinie des autres ». Chaque toile de Bentajou impose à sa manière unique et singulière l?évidence d?une énigme qu?elle tend à déchiffrer et qui est celle du développement nouveau, très différent, de l?être de la couleur. Chaque toile propose à cette énigme l?amorce d?une nouvelle réponse.
Loin de toute l'hagiographie qui valorise la pécheresse repentie, ou de l'exégèse qui décompte les figures magdaléniennes, Bernadette Engel-Roux ne retient de la figure de Madeleine que ce qui coïncide avec l'intimité de sa propre parole poétique, telle qu'on peut l'entendre dans ses autres recueils : l'amour dans la séparation. Ainsi distraite des Écritures qui la désincarnent, la Femme qui, de ses cheveux, essuie les pieds d'un corps dont tout la prive, est l'Amante qu'ont arrêtée dans la peinture Fra Angelico, Botticelli ou Véronèse. À Madeleine a été donné l'absolu de l'amour impossible.